Selon deux chercheurs belges, les lâchers massifs de faisans d’élevage destinés à la chasse contribueraient à la disparition de reptiles et de lézards du site concerné. Pour eux, il faut interdire ces pratiques.
Chaque année, en Belgique, des dizaines de milliers de faisans, mais aussi de perdrix ou de canards, nés et élevés en captivité, sont relâchés dans la nature afin de « reconstituer les stocks de gibier ». En clair, pour servir de cibles aux chasseurs. Combien ? Mystère et boule de gomme : personne ne dispose de chiffres. Mais une évaluation européenne datant de 2018 parlait de 115 000 faisans et près de 94 000 autres volatiles. Sans parler du sort des animaux, certains s’inquiètent de la « pollution génétique » entraînée par cette pratique, de la compétition pour les ressources, de la propagation d’éventuelles maladies, mais aussi de retentissement sur la flore, la végétation et les communautés d’arthropodes (araignées, cloportes, mille-pattes…).
Mais il est un autre effet qu’une étude parue dans le Bulletin scientifique de la Société herpétologique de France vient de mettre en évidence. S’ils font de bonnes cibles, les Faisans de Colchide constituent, avant de trépasser, une nuisance pour les lézards et les serpents dont ils se nourrissent. Après observation de plusieurs centaines de sites, la conclusion des deux chercheurs belges est sans appel : les lézards et les serpents disparaissent des zones où se déroulent des lâchers massifs de faisans.
À l’inverse, indiquent Éric Graitson et Julien Taymans, biologiste et bioingénieur, tous deux membres de Natagora, lorsque ces derniers cessent, on assiste au retour d’une espèce de lézard commun après « quelques années ».
On savait déjà que l’Orvet fragile, la Coronelle lisse (en Flandre) et le Lézard ocellé (à Porquerolles) ont décliné à cause des faisans. Mais les preuves formelles du lien entre les oiseaux et la prédation restaient encore à accumuler, les herpétologistes ayant tendance à chercher batraciens et reptiles là où ils ont le plus de chance d’en trouver. Or, là où les faisans déboulent en masse par la « grâce » des lâchers, les reptiles s’évanouissent.
Sur les six sites soumis à des lâchers massifs qu’ont étudiés les deux chercheurs dans le Hainaut et en Brabant wallon, nul reptile n’a été croisé. Même l’Orvet fragile, « le plus répandu en Wallonie » avec parfois plusieurs centaines d’individus à l’hectare (ce qui facilite sa détection), est absent à l’appel. « Interpellant », indiquent les chercheurs. Interpellant aussi, ajoute Jean-Yves Paquet, directeur du service d’études de Natagora : le « nettoyage de rapaces » qui accompagne certains lâchers de faisans peu préparés à se prémunir contre des attaques de prédateurs. À l’occasion de lâchers, « on trouve parfois dans le coin des rapaces empoisonnés. Difficile d’y voir une coïncidence. », indique J.-Y. Paquet.
Ceux-ci subodorent que la disparition d’une population de Vipères péliades d’un site situé à Houyet Beauraing soit due aux abondants faisans. Et les constats posés sont sans doute en deçà de la réalité. La plupart des lâchers de volatiles d’élevage ont lieu dans les plaines agricoles, des sites non étudiés dans la recherche. Et les deux chercheurs de conclure : « Au vu de ces impacts sur la biodiversité, la pratique des lâchers de faisans dans la nature devrait être interdite » comme elle l’est aux Pays-Bas et en Flandre.
Source : Journal Le Soir – Michel De Muelenaere.